mercredi 2 novembre 2011

L'histoire de... "Nuit et Brouillard" (Jean Ferrat - 1963)

Ceux qui me connaissent le savent : la chanson francophone et moi, ça fait deux… Genre l’eau et le feu… Ou l’hiver et l’été (quoiqu’en Belgique, on n’est pas très regardant question saisons. Soit.). Je reconnais qu’il y a de superbes paroles de chansons françaises et de très bons interprètes mais que voulez-vous ? Mon cœur est anglophone jusqu’à la moelle des os. Vous trouverez donc fort peu de références francophones sur ce blog. Je vais pourtant faire une exception aujourd’hui avec la chanson « Nuit et Brouillard » de Jean Ferrat.

Pour ceux d’entre vous qui ont des notions d’histoire, le titre parle de lui-même. Pour les autres … L’opération « Nuit et Brouillard » (en allemand « Nach und Nebel ») fait suite à une directive signée en 1941 par Adolf Hitler autorisant l’armée à interpeller toute personne représentant un danger pour le Reich. Ces personnes étaient tout bonnement arrêtées et envoyées en Allemagne où elles devaient être « éliminées » dans la discrétion la plus totale.
La chanson de Jean Ferrat reflète à bien des niveaux cette période noire de l’histoire. Par sa chanson, il évoque le voyage et le séjour de vingtaines, de centaines, de milliers de déportés. Il parle des heures écoulées derrière les murailles des camps, de la foi perdue… Il proteste aussi : il explique que non, il n’écrira pas des chansons d’amour parce que la guerre est finie depuis longtemps.
En effet, quand « Nuit et Brouillard » sort, nous sommes en décembre 63, en pleine période yé-yé : Sheila nous dit que « L’école est finie » et Johnny annonce que « Pour [lui] la vie va commencer »… la place est donc à l’optimisme bubble-gum et non pas à la parole engagée. Conséquence : l’Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), organisme en charge à l’époque des diffusions radio et télé, interdit le passage de la chanson sur les ondes. Pourtant, « Nuit et Brouillard » passera tout de même entre les mailles du filet pour atteindre le public qui adhère à la chanson.

Il y a bien plus que de l’engagement dans cette chanson : il y a une histoire personnelle, une blessure… Jean Ferrat, né Tenenbaum en 1930, est le fils d’une fleuriste et d’un joaillier. En 1941, son père est victime d’une rafle et sera envoyé à Auschwitz d’où il ne reviendra jamais. Pas étonnant dès lors qu’il y ait autant de cœur et d’émotion dans « Nuit et Brouillard ». L’espoir subsiste pourtant dans cette chanson puisque Ferrat évoque les prisonniers qui ont survécu…

Des prisonniers sont effectivement ressortis des camps : certains n’ont jamais eu la force de raconter ce qu’ils ont vu et subi, d’autres ont au contraire partagé leur expérience pour se décharger de ce poids ou parce qu’oublier, c’est nier l’existence de cette page de l’histoire. Paul Brusson appartenait à cette dernière catégorie.
Ancien déporté, Paul Brusson était un de ces « Nacht und Nebel » expédiés dans les camps de concentration. Au cours de ses trois années de captivité, il séjournera notamment dans les camps de Mauthausen, Güsen et Dachau d’où il sera libéré en 1945.
Après son retour, il entrera à la police et deviendra en 1977 commissaire de Police en chef de la Ville de Liège.
Suite à son expérience, il deviendra également un vif défenseur de la démocratie, du respect de l’être humain et oeuvrera sans relâche pour prévenir une résurgence de l’extrémisme sous toutes ses formes. Il parlera de son expérience dans un livre intitulé « De Mémoire Vive » et sera notamment un des acteurs ayant mené à la création de l’asbl Territoires de la Mémoire dont vous avez probablement déjà vu le petit triangle rouge, symbole de l’association.

Il sera aussi un infatigable intermédiaire vers la jeune génération, retournant plusieurs fois par an sur les lieux de son incarcération, mettant de côté peine et douleur passées pour faire comprendre à de jeunes adolescents les dangers du nazisme et faire d’eux des Passeurs de Mémoire.
Paul Brusson s’est éteint jeudi dernier et a reçu ce matin les honneurs militaire, policier, politique et civil lors de ses funérailles.

Si j’ai fait une exception dans mes habitudes musicales, c’est parce que j’ai eu la chance de rencontrer cet Homme d’Exception. Un Grand Homme. Le seul ayant finalement jamais réussi à m’impressionner réellement au cours de mes 34 années de vie sur cette terre. Ne me dites pas que je me suis trompée. Ne me dites pas que « homme » s’écrit avec un petit « h ». Parce qu’il faisait partie des êtres humains qui ont œuvré pour ouvrir l’esprit et le cœur des gens, pour les sensibiliser aux dangers de l’extrémisme aveugle et de l’intolérance. Par son action au cours de ces nombreuses années, ce sont des centaines – oui, des CENTAINES – de jeunes qu’il a touché, des jeunes qui restent aujourd’hui porteurs de la Mémoire. Pour cela, il mérite amplement ce grand « H ».

Je suis fort attristée du départ de Monsieur Brusson : sa disponibilité, sa simplicité, ses mots gentils pour chacun, son franc-parler et surtout, surtout, cette petite étincelle au coin de l’œil lorsqu’il discutait avec « ses » jeunes me manqueront… Mais en même temps, je réalise aussi la chance j’ai eu de pouvoir le rencontrer et de le voir faire ce qu’il faisait le mieux. Je doute de pouvoir un jour retrouver une personne d’une telle étoffe. Même en vivant aussi longtemps que lui…
Cela faisait six jours que je cherchais une chanson qui serait à la « hauteur » de Monsieur Brusson. C’est finalement lui qui me l’a amenée. Cette chanson a ouvert la cérémonie de ce matin, cette chanson que l’on a présentée à la foule venue le saluer une dernière fois comme étant une de ses chansons préférées. Après tout, qui mieux que lui et ses « compagnons » pouvaient la comprendre ?



 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire