vendredi 15 mai 2015

B.B. King... ou quand, certains jours, le blues est vraiment triste.


Ce matin, la nouvelle est tombée… comme un couperet qui fait mal. Très mal. BB est parti. Ça peut vous paraitre stupide mais… j'en ai eu les larmes aux yeux. Peut-être parce que hier, je me disais encore qu'il fallait que je surveille attentivement ses dates de tournée lors d'un éventuel retour en Europe. Depuis le départ de Lou Reed en 2013, j'ai réalisé que – quelque part – j'avais eu beaucoup de chance de le voir sur une scène quelques mois avant son décès. Depuis ce jour-là, je me suis juré d'essayer d'aller voir le plus grand nombre de légendes avant qu'ils ne nous quittent. McCartney, Clapton, les Stones, Paul Simon font partie de cette liste d'artistes que j'ai vus sur scène. BB King faisait partie de ceux que je voulais "rencontrer". Mais cela ne se fera pas…

J'éprouvais une grosse tendresse pour Monsieur King, pour une raison bien particulière : c'est lui qui m'a "appris" à aimer le blues. Avant la création de ce blog, j'écrivais déjà des chroniques qui étaient postées sur Facebook. Je prenais une chanson et, la semaine suivante, me servait d'un élément pour parler d'une autre chanson. Cela pouvait tout aussi bien être un producteur identique, un artiste qui avait repris la même chanson, un ingénieur son ou un réalisateur de clip vidéos communs.
Avec Billy Preston, le fameux 5e Beatles, j'avais trouvé un lien vers BB King. Sauf que… le blues, ce n'était pas vraiment mon univers. Pas du tout, même. J'ai donc emprunté six ou sept albums de King, que j'ai écoutés en boucle pendant la semaine, tout en apprenant à connaître le talentueux guitariste pour écrire ce fameux article. BB King m'a fait tomber amoureuse du blues, m'a fait sourire et vibrer au son de sa guitare, la jolie Lucille aujourd'hui orpheline de sa moitié…

Revoici donc ce que je disais de lui le 25 novembre 2009…
(A noter que les chiffres ont été réadaptés pour "coller" à 2015 et que quelques informations additionnelles ont été apportées dans l'article, en bleu)




Je pensais avoir trouvé les détenteurs des carrières les plus longues avec des gars tels que Clapton, Richards ou Dylan qui éclatait le score avec 56 ans de carrière mais ils sont battus à plates coutures par Mister King avec ses – tenez-vous bien – 67 ans de carrière ! Gloups ! Juste pour vous donner une indication : BB King jouait déjà sur scène alors que les trois précédents avaient entre 2 et 6 ans !

BB King est né Riley B King le 16 septembre 1925 dans l’état du Mississippi à une époque où il n'était pas drôle d’être black… Pour rendre les choses encore un peu plus difficiles, sa mère quitte le domicile conjugal alors qu’il n’a que 9 ans et son frère aîné a déjà fait l’expérience de la prison alors que BB n’a que 4 ans. Venant d’une famille de fermiers, il est embauché très jeune pour travailler dans les champs… Rien ne le prédispose donc vraiment à devenir le guitariste légendaire qu’il allait être des années plus tard…

Savez-vous d’où lui vient ce surnom de « BB » ? Pour le savoir, il faut remonter jusqu’en 1948 à l’époque où BB était à Memphis. A l’époque, il travaillait pour la radio WDIA où il présentait une émission de blues d’une durée de 15 minutes. Cette radio a eu une grosse influence sur certains artistes, tel Elvis, et constituait en elle-même une révolution puisqu’elle était une des premières radios à cibler un public exclusivement noir. Cette station était située sur Beale Street et BB King hérita du surnom de Beale Street « Blues Boy » d’où… BB King.
Après avoir dans un premier temps aidé au développement économique de la rue, cette dernière a fini par tomber en désuétude au fil des années… malgré le fait que le Congrès américain l’ait officiellement décrétée « Maison du Blues » en 1977. Il faudra attendre les 80ies pour voir le quartier reprendre vie et on peut aujourd’hui aller écouter de bons morceaux de blues dans certains clubs et cafés. Tiens, par exemple, au numéro 143… le BB Kings Blues Club.

Cette station de radio ne sera d’ailleurs pas uniquement le « fournisseur » du surnom de BB : elle sera tout simplement l’origine de sa vocation… Le jour où T-Bone Walker vient à la radio pour y jouer un morceau « live », BB prend une claque. C’est décidé, il aura une guitare… même s’il doit en voler une, dira-t-il des années plus tard !
Sa première chanson est un échec total mais attire tout de même l’attention d’un certain Sam Philipps qui deviendra producteur de ses morceaux suivants. Juste pour l’info, Sam Philipps n’est autre celui qui fondera Sun Records, la maison de disques qui révélera Roy Orbison, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis ou encore Johnny Cash et Elvis ! Bref… la carrière de BB est maintenant lancée et les 50ies seront les années King… Rien qu’en 1956, BB donnera 342 concerts ! Pas mal, hein ?

Essentiellement guitariste de blues, cela ne l’empêche en rien de se mêler à d’autres mondes musicaux. Ainsi, en 1969, BB fera la première partie des Rolling Stones. La particularité de cette tournée était que le show durait parfois jusqu’à 3 heures… et que la performance des Stones durait, elle, … 75-80 minutes. Les British laissaient donc finalement plus la scène à leur première partie qu’à eux-mêmes. Vous allez me dire « Ouais mais c’est ch**ant. On vient pour le plat principal, pas pour les zakouskis ! ». Ouais, ben sachez que parfois, c’est encore l’apéro le meilleur moment d’un repas et dans ce cas-ci ça se vérifie !

Question collaborations, BB King est épatant ! En 1988, il perdure dans le rock avec les irlandais de U2 lors de la sortie de l’album « Rattle and Hum » et les accompagne même en tournée sur ce coup-là. Rappelons tout de même qu’à cette époque, BB a 64 ans… mais qu’on ne le dirait pas. La preuve en images :


Et quel public mes amis… Je vous conseille le film de cette tournée où vous entendrez BB lâcher un « Je ne suis pas doué avec les cordes… » à un Bono amusé. Irrésistible !

Il termine le 20e siècle par une collaboration avec Monsieur Clapton le temps d’un album intitulé « Riding With The King » (Quoi de plus logique après tout !)… Excellente collaboration entre ceux que le magazine Rolling Stone a élu meilleurs guitaristes numéros 3 (pour BB) et 4 (pour Eric) en 2003 ! L’amitié semble au rendez-vous entre ces deux-là puisque BB apparaîtra en 2007 lors de la seconde édition du Festival Crossroads, à 81 ans… et les doigts toujours aussi peu rouillés ! Je vous laisse le soin de juger par vous-même :


Vers 4’, il fait un très beau discours à l’attention d’Eric… émouvant. (Pour ceux qui ne comprendraient pas l’anglais et qui voudraient savoir ce qu’il dit… Demandez et je me ferai un plaisir de vous mettre une transcription).
BB fera encore l'honneur au public du Crossroads Festival de revenir pour les éditions de 2010 et de 2013. Il y a fort à parier que l'édition 2016 sera empreinte d'une pointe de tristesse pour Clapton et ses amis...

BB, c’est donc 59 albums uniquement sous son nom, 15 Grammys, une place au Rock’n’roll Hall of Fame, une étoile sur Hollywood Boulevard, une mention de son nom dans la chanson « Dig It » des Beatles et plus de 15 000 journées sur les routes… Vous allez me dire : et la vie privée là-dedans ? Et bien… disons que BB a une notion particulière de la vie de famille.
Bien qu’ayant été marié deux fois, ces mariages ont été des échecs en raison de ses trop fréquentes absences… Une seule est restée dans sa vie, entraînant la jalousie des autres femmes qui lui disaient « C’est moi ou Lucille ! ».

Qui est Lucille ? Et bien Lucille est une merveilleuse demoiselle qui, selon les dires de BB, lui a apporté la célébrité, l’a maintenu en vie et nourri, lui a littéralement sauvé la vie aussi… et ne l’a jamais abandonné. BB lui a même sauvé la vie une nuit de 1949 : il devait jouer dans un club lorsque deux hommes se disputent à propos d’une femme, provoquant un incendie. L’endroit est évacué… Lorsque BB se rend compte que Lucille n’est pas près de lui, il retourne à l’intérieur du club pour aller la sauver et depuis, ils ne se sont plus quittés. Lucille est tout simplement la meilleure compagne de sa vie… sa guitare. Une superbe Gibson acoustique. Baptisée ainsi en souvenir du prénom de la  jeune demoiselle à l’origine de la bagarre… et de l’incendie qui s’ensuivit.


BB et... Lucille, la superbe Gibson
© Philippe Taka

J’écrivais la semaine dernière sur mon mur que « Nat s'écoute en boucle une chanson avec 2 solos de Dieux de la Guitare... ». Vous aurez compris que l’un d’eux n’est autre que BB mais quel pourrait bien être cet autre dieu ?? Je ne vous fais pas languir et vais faire plaisir au(x) fan(s) de Pink Floyd de ce groupe en vous présentant la collaboration de BB avec David Gilmour :



Sympa, hein ? Celle-là, elle doit avoir tourné sur ma bécane au moins 30 fois depuis mon post !
Mon ami Gaël demandait qui étaient mes Dieux suite à ce post mural mais le fait est qu’ils ne sont pas « mes » dieux. Les gars de cette trempe-là sont des Dieux tout courts. Des mecs qui ont abattu les frontières musicales par leur façon de jouer… La musique ne s’en porte que mieux… Et voir un type de 89 piges qui a su rester passionné par ce qu’il fait, ça me touche…
PS : je ne vous fais pas l’affront de vous demander si vous aviez reconnu l’homme qui joue dans la vidéo de présentation avec BB et Billy ? On est quand même loin de John MacLane ou de Korben Dallas, non ? Ceci dit, il faut reconnaître qu’il se débrouille bien à l’harmonica, le Bruce Willis… non ? ;)"

J'ai vu passer sur Twitter et Facebook bon nombre de statuts disant "The Thrill Is Gone". C'est vrai… et faux à la fois. Parce que si j'ai beau être déçue de ne jamais pouvoir le voir frôler les cordes de la belle Lucille, je sais que, finalement, à chaque fois qu'une radio passera du BB, à chaque fois que mon lecteur audio me donnera du BB, j'aurai un petit sourire en pensant à ce grand lascar à la bonhomie, à la générosité et à l'humilité légendaires. Tiens… ça aussi, c'est un peu pourquoi je l'aimais tendrement, BB.
Je terminerai juste par une phrase qu'il a dite, que l'on entend dans la vidéo du Crossroads Festival (entre 6:28 et 7:12) et qui prend aujourd'hui une résonance un peu particulière…

"So I'll say to all of you May I live forever
But may you live forever and a day
Because I'd hate to be here
When you pass away
PS : and when they lay me out to rest
As I mentioned I'm 81 now
May the last voices I hear be yours"
                                       - B.B. King

(Alors je vais vous dire à tous :
Si je pouvais vivre à jamais,
Puissiez-vous vivre à jamais et un jour de plus
Parce que je détesterais être ici
Quand vous vous en iriez.
PS : et quand ils me mettront en terre,
Comme je l'ai dit, j'ai 81 ans maintenant,
Puissent les dernières voix que j'entende être les vôtres)

Allez va jouer avec tes amis là-haut, tu as eu une vie bien remplie et tu en as fait profiter beaucoup de gens. Merci BB… merci pour tout ça.