mercredi 27 juillet 2016

Bye bye Jack… ou la fin d’une époque de la BD américaine

Ce 27 juillet 2016, Twitter m’apprenait la nouvelle. Jack Davis n’est plus. Lui, ainsi que Johnny Craig, Wally Wood, Jack Kamen, Al Williamson, Will Elder ou encore Al Feldstein et Bill Gaines sont ceux qui sont en partie responsables de ma passion pour les comics et l’horreur…  Ils ont tous fait partie, dans les années 50, du label EC Comics, créé par Max Gaines (le papa du précédent) et dont les bandes dessinées étaient centrées sur des thèmes tels que la science-fiction, les thrillers, l’horreur… The Haunt of Fear, The Vault of Horror, Shock SuspenStories ou encore The Tales from the Crypt (connu chez nous sous « Les Contes de la Crypte »), c’étaient eux ! 


Quelques exemples de comics EC
 
Pour l’époque, des bandes dessinées de ce type – tout comme la série The Addams Family – c’était un sacré dépoussiérage dans l’univers américain bien calé/coincé. C’est aussi ce qui les « tuera ». Car les années 50, c’est aussi le McCarthysme… Au départ, les actions du sénateur Joseph McCarthy consistaient à traquer des sympathisants communistes pour maintenir la sécurité aux Etats-Unis. McCarthy était doté également du puritanisme le plus abject : son homophobie était telle qu’il s’en est servi sans limite pour évincer des personnes d’emploi, poussant certains au suicide en les culpabilisant sur leur « état », considéré comme une menace pour les Etats-Unis.
Au final, McCarthy aura instauré un climat de paranoïa et de terreur sur le territoire de l’Oncle Sam, poussant des génies tels que Charlie Chaplin, Orson Welles, Bertold Brecht à fuir le pays.

Orson : Tu penses pas qu'on devrait s'en aller, là, des fois?
Charlie : Oooh que oui sinon, on va mal finir si on reste...

Lui et ses sbires se sont également attaqués à l’univers de la bande dessinée, accusée de corrompre la jeunesse américaine et de pousser à la délinquance. Evidemment, bien que déjà hautement critiquée avant son arrivée au pouvoir, des histoires d’horreur ne pouvaient que se retrouver dans la ligne de mire du politicien… et d’autres. En effet, le McCarthysme faisait son bout de chemin et touchait également professeurs, ecclésiastiques, psychologues et malheureusement, parents.
Les éditeurs de comics ne se sont pas laissés faire et ont bien tenté de vaincre ce système de censure pour maintenir l’expression artistique qu’est la bande dessinée. En avril et juin 1954, William Gaines sera convoqué devant une commission d’éthique fédérale pour répondre d’une couverture d’un Crime SuspenStories.

Commission d'enquête : on y voit clairement 3 comics de chez EC...
Interrogé par un sénateur quant aux risques de dépravation sur la jeunesse, voici ce que Gaines avait à en dire :
-      Chief Beaser : vous pensez donc qu’aucun enfant ne peut, en aucun cas ou manière, être blessé par ce qu’il peut lire ou voir ?
-      William Gaines : je ne pense pas, non.
-      Beaser : Il n’y aurait donc aucune limite à ce que vous mettriez dans vis magazines ?
-      Gaines : rien qui ne dépasse les limites du bon goût
-      Sen. Kefauver : voici votre édition de mai. Cela semble être un homme avec une hache ensanglantée, tenant une tête de femme qui a été coupée du reste de son corps. Vous pensez que c’est du bon goût ?
-      Gaines : oui, monsieur. Pour la couverture d’un comics d’horreur. Une couverture de mauvais goût aurait été, par exemple,  de tenir la tête un peu plus haut pour que l’on voit du sang en sortir et que l’on recule le corps pour en voir le cou ensanglanté.

LA couverture scandale!

Quoi que l’on en pense, les éditeurs et dessinateurs de comics connaissaient les limites à ne pas dépasser. Sauf que dans ce cas-là, la censure opérait déjà chez eux puisque Johnny Craig, l’auteur de ladite couverture, avait inclus dans sa première ébauche les fameux éléments de « mauvais goût » cité par Gaines à la Commission… La fin était déjà en marche pour bon nombre de bandes dessinées…

A peine 5 ans après leur naissance, bon nombre de comics de chez EC et d’autres maisons d’éditions vont ainsi mourir, par étroitesse d’esprit et peur irrationnelle. Jetés à la poubelle, BRULES ! Faut-il que le cerveau des parents, des psychologues et autres détracteurs ait été tellement lavés pour bien vouloir y voir tout le bien de leurs enfants mais pas un épisode tristement célèbre dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale qui y ressemble tellement ? En quoi McCarthy était-il finalement différent des sbires du nazisme… Mais tout ceci n’est qu’une réflexion toute personnelle. Toutefois, je tiens à préciser que j’ai été nourrie dès le biberon au cinéma, aux BDs, au séries d’horreur et n’en suis pas pour autant devenue une délinquante ou développé une obsession pour la mort et rêvé de tuer tout qui se trouve sur mon passage ! Quand on est bien entouré (et éduqué !), on est capable d’apprendre à discerner le monde réel de celui d’un livre ou d’une bande dessinée…

Remake d'un sale épisode de l'Histoire...

Cela dit… si le passage des EC comics sur la planète a été bref, leur influence a été majeure sur le public mais également sur de nombreux jeunes qui sont devenus à leur tour des artistes de comics (Alan Moore, Frank Miller…), sur des réalisateurs (Romero, Carpenter…) ou sur des auteurs (Stephen King, par exemple). Mad est un autre magazine d’EC qui résiste depuis 1952 – notamment aux attaques en justice de gens ayant niveau de sens de l’humour plutôt bas -  puisqu’il est  encore édité aujourd’hui. Egalement célèbre pour son côté satirique, Jack Davis en a été l’un des dessinateurs et les références en son nom sont plutôt nombreuses chez la plus célèbre famille déjantée de Springfield, les Simpsons. Quelque part, Mad est le tonton de Charlie Hebdo…



Les défunts comics d’EC font désormais partie de la pop-culture américaine et sont des référence solides… Les comics originaux sont aussi des bijoux aujourd’hui recherchés : la 1e édition du 1er  Tales from the Crypt se monnaie à plus de 2000$ tandis que les 5 suivants ne partiront pas vers un nouveau parent à moins de 1000$, le comics à la couverture de « bon goût » vaut aujourd’hui presque 1200$... Rassurez-vous, si vous voulez les découvrir, ils ont été depuis réédités – plusieurs fois - par Russ Cochran. J’ai chez moi l’entièreté des comics Tales from the Crypt, The Haunt of Fear et Vault of Horror et ils sont mon St Graal des BDs : ils ne sortent pas de chez moi, je ne les prête pas et seules mes mains ont le droit de les toucher… parce qu’ils ont, entre autre, fait de moi en partie ce que je suis. Une BD n’est pas qu’une simple BD, c’est un morceau de vie qu’on garde dans le cœur…

Et aujourd’hui, mon cœur est donc meurtri… Jack Davis était le dernier membre de l’équipe EC encore en vie. Bien sûr, à 92 ans, c’est un bel âge pour « partir » mais avec lui s’éteint tout un univers, tout un pan du monde de la bande dessinée américaine.  Heureusement, il nous reste encore leurs histoires, à ces fous furieux qui avaient défié la mentalité bien-pensante de leur époque. Ils avaient « osé »… Z’étaient rock and roll, en fait… Des vrais rebelles avant l’ère du punk.
Merci les gars. Jack, dis bonjour aux autres, , et bonnes retrouvailles avec eux là-haut !

De haut en bas et gauche à droite : Gaines et Felstein, Johnny Craig, Jack Kamen et Wally Wood


Bye bye Jack.. <3




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