Ce 27 juillet 2016, Twitter m’apprenait la
nouvelle. Jack Davis n’est plus. Lui, ainsi que Johnny Craig, Wally Wood, Jack
Kamen, Al Williamson, Will Elder ou encore Al Feldstein et Bill Gaines sont
ceux qui sont en partie responsables de ma passion pour les comics et l’horreur…
Ils ont tous fait partie, dans les
années 50, du label EC Comics, créé par Max Gaines (le papa du précédent) et
dont les bandes dessinées étaient centrées sur des thèmes tels que la
science-fiction, les thrillers, l’horreur… The Haunt of Fear, The Vault of
Horror, Shock SuspenStories ou encore The Tales from the Crypt (connu chez nous
sous « Les Contes de la Crypte »), c’étaient eux !
Quelques exemples de comics EC |
Pour l’époque, des bandes dessinées de ce
type – tout comme la série The Addams Family – c’était un sacré dépoussiérage
dans l’univers américain bien calé/coincé. C’est aussi ce qui les « tuera ».
Car les années 50, c’est aussi le McCarthysme… Au départ, les actions du sénateur
Joseph McCarthy consistaient à traquer des sympathisants communistes pour
maintenir la sécurité aux Etats-Unis. McCarthy était doté également du
puritanisme le plus abject : son homophobie était telle qu’il s’en est
servi sans limite pour évincer des personnes d’emploi, poussant certains au
suicide en les culpabilisant sur leur « état », considéré comme une
menace pour les Etats-Unis.
Au final, McCarthy aura instauré un climat
de paranoïa et de terreur sur le territoire de l’Oncle Sam, poussant des génies
tels que Charlie Chaplin, Orson Welles, Bertold Brecht à fuir le pays.
Orson : Tu penses pas qu'on devrait s'en aller, là, des fois? Charlie : Oooh que oui sinon, on va mal finir si on reste... |
Lui et ses sbires se sont également
attaqués à l’univers de la bande dessinée, accusée de corrompre la jeunesse
américaine et de pousser à la délinquance. Evidemment, bien que déjà hautement
critiquée avant son arrivée au pouvoir, des histoires d’horreur ne pouvaient
que se retrouver dans la ligne de mire du politicien… et d’autres. En effet, le
McCarthysme faisait son bout de chemin et touchait également professeurs, ecclésiastiques,
psychologues et malheureusement, parents.
Les éditeurs de comics ne se sont pas
laissés faire et ont bien tenté de vaincre ce système de censure pour maintenir
l’expression artistique qu’est la bande dessinée. En avril et juin 1954, William
Gaines sera convoqué devant une commission d’éthique fédérale pour répondre d’une
couverture d’un Crime SuspenStories.
Commission d'enquête : on y voit clairement 3 comics de chez EC... |
Interrogé par un sénateur quant aux risques
de dépravation sur la jeunesse, voici ce que Gaines avait à en dire :
-
Chief Beaser : vous pensez donc qu’aucun
enfant ne peut, en aucun cas ou manière, être blessé par ce qu’il peut lire ou
voir ?
-
William Gaines : je ne pense pas, non.
-
Beaser : Il n’y aurait donc aucune limite à
ce que vous mettriez dans vis magazines ?
-
Gaines : rien qui ne dépasse les limites du
bon goût
-
Sen. Kefauver : voici votre édition de mai.
Cela semble être un homme avec une hache ensanglantée, tenant une tête de femme
qui a été coupée du reste de son corps. Vous pensez que c’est du bon goût ?
-
Gaines : oui, monsieur. Pour la couverture
d’un comics d’horreur. Une couverture de mauvais goût aurait été, par exemple, de tenir la tête un peu plus haut pour que l’on
voit du sang en sortir et que l’on recule le corps pour en voir le cou
ensanglanté.
LA couverture scandale! |
Quoi que l’on en pense, les éditeurs et
dessinateurs de comics connaissaient les limites à ne pas dépasser. Sauf que
dans ce cas-là, la censure opérait déjà chez eux puisque Johnny Craig, l’auteur
de ladite couverture, avait inclus dans sa première ébauche les fameux éléments
de « mauvais goût » cité par Gaines à la Commission… La fin était
déjà en marche pour bon nombre de bandes dessinées…
A peine 5 ans après leur naissance, bon
nombre de comics de chez EC et d’autres maisons d’éditions vont ainsi mourir,
par étroitesse d’esprit et peur irrationnelle. Jetés à la poubelle, BRULES !
Faut-il que le cerveau des parents, des psychologues et autres détracteurs ait
été tellement lavés pour bien vouloir y voir tout le bien de leurs enfants mais
pas un épisode tristement célèbre dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale qui
y ressemble tellement ? En quoi McCarthy était-il finalement différent des
sbires du nazisme… Mais tout ceci n’est qu’une réflexion toute personnelle.
Toutefois, je tiens à préciser que j’ai été nourrie dès le biberon au cinéma,
aux BDs, au séries d’horreur et n’en suis pas pour autant devenue une
délinquante ou développé une obsession pour la mort et rêvé de tuer tout qui se
trouve sur mon passage ! Quand on est bien entouré (et éduqué !), on
est capable d’apprendre à discerner le monde réel de celui d’un livre ou d’une
bande dessinée…
Remake d'un sale épisode de l'Histoire... |
Cela dit… si le passage des EC comics sur
la planète a été bref, leur influence a été majeure sur le public mais
également sur de nombreux jeunes qui sont devenus à leur tour des artistes de
comics (Alan Moore, Frank Miller…), sur des réalisateurs (Romero, Carpenter…)
ou sur des auteurs (Stephen King, par exemple). Mad est un autre magazine d’EC
qui résiste depuis 1952 – notamment aux attaques en justice de gens ayant niveau
de sens de l’humour plutôt bas - puisqu’il
est encore édité aujourd’hui. Egalement
célèbre pour son côté satirique, Jack Davis en a été l’un des dessinateurs et
les références en son nom sont plutôt nombreuses chez la plus célèbre famille
déjantée de Springfield, les Simpsons. Quelque part, Mad est le tonton de
Charlie Hebdo…
Les défunts comics d’EC font désormais partie
de la pop-culture américaine et sont des référence solides… Les comics
originaux sont aussi des bijoux aujourd’hui recherchés : la 1e
édition du 1er Tales from the
Crypt se monnaie à plus de 2000$ tandis que les 5 suivants ne partiront pas
vers un nouveau parent à moins de 1000$, le comics à la couverture de « bon
goût » vaut aujourd’hui presque 1200$... Rassurez-vous, si vous voulez les
découvrir, ils ont été depuis réédités – plusieurs fois - par Russ Cochran. J’ai
chez moi l’entièreté des comics Tales from the Crypt, The Haunt of Fear et Vault
of Horror et ils sont mon St Graal des BDs : ils ne sortent pas de chez
moi, je ne les prête pas et seules mes mains ont le droit de les toucher… parce
qu’ils ont, entre autre, fait de moi en partie ce que je suis. Une BD n’est pas
qu’une simple BD, c’est un morceau de vie qu’on garde dans le cœur…
Et aujourd’hui, mon cœur est donc meurtri…
Jack Davis était le dernier membre de l’équipe EC encore en vie. Bien sûr, à 92
ans, c’est un bel âge pour « partir » mais avec lui s’éteint tout un
univers, tout un pan du monde de la bande dessinée américaine. Heureusement, il nous reste encore leurs
histoires, à ces fous furieux qui avaient défié la mentalité bien-pensante de
leur époque. Ils avaient « osé »… Z’étaient rock and roll, en fait…
Des vrais rebelles avant l’ère du punk.
Merci les gars. Jack, dis bonjour aux
autres, , et bonnes retrouvailles avec eux là-haut !
De haut en bas et gauche à droite : Gaines et Felstein, Johnny Craig, Jack Kamen et Wally Wood |
Bye bye Jack.. <3 |
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