W.A.W. Non mais, waw quoi ! Quel paquet d’émotions en pleine tronche ce soir, mes amis…
Chez nous, en France, en Angleterre et dans de nombreux autres pays, la vie est difficile pour le monde artistique et la culture en général...
À Londres, le West End est fermé depuis maintenant plusieurs mois et connaît la période la plus difficile de son histoire. Certains théâtres bénéficient d’un peu d’aide mais pas tous. Alors, pour survivre, il faut trouver des solutions. En faisant par exemple usage des techniques modernes de communication.
Ainsi, l’Old Vic, situé à une quinzaine de minutes à pied du National Theatre, a créé une nouvelle série de pièces baptisées On Camera. Tout est dans le nom : le public achète sa place en ligne et reçoit un lien qui lui permet d’assister à la pièce via Zoom. Certes, cela ne vaut pas l’ambiance, l’odeur et l'agréable staff de la salle de la vieille bicentenaire mais c’est une façon comme une autre de retourner dans un lieu qui me manque. Et de retrouver un comédien pour lequel j’ai une affection toute particulière.
Prévue au départ pour le mois d’août, Three Kings, écrite pour être interprétée par Andrew Scott, a été reportée suite à l’hospitalisation du comédien. La patience est une vertu qui apporte bon nombre de récompenses. Ce fut définitivement le cas ici.
Bien sûr, je me dois d’être honnête avec vous dès le départ. Ceux qui me connaissent savent très bien que je suis à présent capable de fort peu d’objectivité lorsque j’évoque Andrew Scott. Découvert comme bon nombre dans la série Sherlock, c’est suite à une rencontre inattendue que j’ai découvert son monde théâtral. L’énorme tendresse que je ressens toujours aujourd’hui pour The Dazzle (2015), jouée au défunt Found111, a créé une forme de contrat avec Scott : tu vas sur scène, je débarque de Belgique… Hamlet (2017) Sea Wall (2018), Present Laughter (2019) démontre à elles seules, avec leurs univers tellement différents, le « spectre » (oui, oui, c’est un jeu de mots volontairement choisi) théâtral de l’Irlandais.
Three Kings est un seul en scène qui aborde les relations père-fils, dans toute leur complexité. La pièce se divise en trois actes, présentant plusieurs moments dans la vie de Patrick, le héros de l’histoire : l’enfance, où il rencontre son père pour la première fois, qui le met face à un défi à réaliser avec trois pièces, trois… Rois ; l’âge adulte, où il apprend la mort de son père par une de ses connaissances et, dans le dernier chapitre, la rencontre avec son demi-frère… Chaque volet de l’histoire apporte son lot de surprises, de désillusions et de conséquences sur la vie et la personnalité du notre personnage central.
La pièce montre la Vie sous un des aspects les plus durs : un enfant qui rencontre un père qu’il imagine affectueux dès leurs retrouvailles mais qui, au final, se soucie peu de ce fils qui s’avère être une épine dans le pied dont il faut vite se débarrasser pour s’enfuir loin. Le plus loin possible. Lorsque le fils arrive à le retrouver pour lui dire qu’il a réussi le défi des trois Rois, c’est une nouvelle déception qui l’attend. La suite ne sera finalement que claques en plein visage pour le jeune Patrick.
Malgré un thème dont il est difficile de rire, quelques doses d’humour et de sarcasme viennent se glisser entre les lignes du texte écrit par Stephen Beresford, permettant au public de n’en apprécier que plus le moment passé avec Scott.
Lors de l’heure passée en sa compagnie, l’Irlandais exprime différentes émotions liées aux événements. Dans le premier volet, son regard et ses postures donnent naissance à l’enfant qu’il doit être. Par la suite, on le verra successivement nous offrir un Patrick surpris, déçu, fâché… On le verra aussi donner naissance à d’autres personnages, pour créer les échanges que Patrick a avec eux. Il sera le seul « ami » de son père, il sera Trisha, tenancière d’un bar ayant bien connu son père ; il sera son demi-frère qui, nouvelle claque, porte le même prénom que lui, comme si son père avait voulu oublier jusqu’à son existence... Au bout du compte, notre héros finira la pièce à fleur de peau. Comme moi. Qui aura vécu cette heure à du 200%.
Comme évoqué plus haut, le confinement des théâtres a obligé ces derniers à être inventifs. Matthew Warchus, directeur artistique de l’Old Vic depuis 2015 et metteur en scène de Three Kings, a donc ici dû oublier toute mise en scène classique et trouver un moyen d’atteindre son public de manière différente. Andrew Scott est ainsi sur la scène de l’Old Vic mais, probablement pour la seule fois de notre vie, nous sommes avec lui sur cette scène et voyons en arrière-plan… les sièges de la salle, tous vides. Comme pour nous rappeler un bref moment le désastre culturel qui est en train de se jouer depuis plusieurs mois. Trois angles de caméra pour trois périodes différents. Pour trois rois.
Trois Rois qu’ont été Andrew Scott, pour sa magistrale interprétation ; Stephen Beresford, pour la justesse et l’équilibre parfait de son écriture et Matthew Warchus, pour le défi de mise en scène à coups de caméras et de connexions à distance relevé haut la main. Après Pride, superbe film sorti en 2014, il était agréable de retrouver ces trois-là sur un projet. Nul doute qu’ils arriveront à se retrouver pour de nouvelles aventures, dont je me réjouis déjà.
Il y a deux jours, Andrew Scott était interviewé par Dermot O’Leary sur la scène de l’Old Vic à propos de sa vie de comédien, du théâtre, de Three Kings et de cette période un peu particulière que nous traversons. Il a notamment dit que « c’est au théâtre que l’on éprouve des frissons » et que « nous comptons sur l’art pour nous garder en vie » et qu’il trouvait extraordinaire que, malgré la pandémie, cette pièce démontrait qu’ « il y a une forme de communauté, même si nous sommes éloignés ». Il ne pouvait pas taper plus juste puisque pour ces cinq représentations, des habitants de 72 pays se sont connectés à leur PC, leur télévision, leur tablette... pour y assister.
Le théâtre est une famille pour ses comédiens. Elle l’est aussi pour ceux qui aiment s’installer dans les sièges de ces théâtres pour y vivre des émotions. Comme Patrick l’a expérimenté, l’alchimie familiale fonctionne parfois de manière mystérieuse… Mais pour moi, ce soir, l’alchimie familiale Scott-Beresford-Warchus était belle et bien là, sur scène, dans toute sa splendeur. Merci messieurs !
L’Old Vic est un théâtre qui ne bénéficie pas de subsides du gouvernement anglais. Les ventes de billets sont donc leur principal revenu pour donner vie aux pièces mais également pour payer leur personnel, entretenir le bâtiment et travailler sur des projets avec la jeunesse et la communauté théâtrale. Pour faire une donation, il vous suffit de cliquer ICI.
Bien entendu, la situation est tout aussi problématique pour de nombreux théâtres, centres culturels, ASBLs… dans d’autres pays. N’hésitez donc pas à aider ces derniers si vous le pouvez, si vous le souhaiter. Chaque Euros, chaque Livres Sterling, chaque petite pièce peut faire une différence...
Images : © The Old Vic, 2020